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63 ANS APRES – Maurice renoue avec la voie ferrée

En opérant le premier métro léger de l’océan Indien, Maurice marque l’histoire de l’Afrique subsaharienne et se rapproche un peu plus de son objectif de devenir un pays à haut revenu.  Dans un contexte mondial dominé par des discours protectionnistes, cette révolution doit sa réalisation à une formidable coopération internationale, de l’inde à l’ Espagne, en passant par la France, la Russie et l’Autriche.

LES SMARTPHONES crépitent sur son passage et les yeux s’illuminent en le contemplant.  La joie et la fierté des Mauriciens, petits et grands, ne sont pas feintes devant le passage de l’élégant Mauricio, le Light Rail Vehicle ainsi adoubé par les constructeurs espagnols de la Construccionnes y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF).  Qu’est-ce un Urbos 300 ? Un tramway, un métro, un métro léger ? La question a été soulevée sur les réseaux sociaux pendant des mois.  Ce débat semble désormais relégué au passé depuis que le métro léger mauricien a triomphalement pénétré la capitale, Port-Louis, lors de son premier essai dynamique sur la totalité de la voie ferrée le 29 septembre 2019, soit à la veille de la date butoir fixée aux constructeurs indiens, Larsen and Toubro, et à quelques jours de l’inauguration officielle qui se fera au dépôt de Richelieu.  Cet événement survient 63 ans après l’arrêt d’opération du dernier train de passagers à Maurice, le 31 mars 1956.

 

Nulle parade ni fanfare n’a précédé son arrivée discrète, sauf ce tintement sourd, caractéristique du passage de tous les tramways européens.  Qu’on ait déjà embarqué à bord d’un tramway ou d’un métro ou pas, voir les élégants wagons de Metro Express Ltd (MEL) sillonner les rails fermement ancrés dans le sol mauricien ou le gigantesque pont aérien construit sur pilotis exprès pour son passage, est une réalisation historique pour le pays.  Alors que nombreux sont ceux qui pensaient que cette entreprise était irréalisable, voire que cet investissement faramineux était déconnecté des besoins basiques des Mauriciens, la complétion de la phase 1 du projet impose de composer avec la présence de ce mode de transport public additionnel dans le paysage routier local.

 

 

Le LRV ne passe pas inaperçu, suscitant l’émerveillement des Mauriciens, ce qui contribue à l’euphorie de cette fin d’année 2019 marquée par la fin du présent mandat électoral et la tenue des élections législatives.  Le lancement inaugural est prévu pour demain, jeudi 03 octobre, et sera marqué par la présence, par visioconférence, du Premier ministre indien, Narendra Modi.  Le projet du métro mauricien, rappelons-le, a bénéficié du financement du gouvernement indien, à travers un grant de USD 275 millions et une ligne de crédit de USD 250 millions, équivalent à Rs 18,8 milliards à la date de la signature du contrat.

METRO EXPRESS RENTABLE EN 2022

L’accord entre les deux gouvernements repose sur un contrat de type EPC, Engineering, Procurement and Construction, qui a été rédigé selon les normes internationales FIDIC (Fédération internationale des ingénieurs conseils).  Seule zone d’ombre au tableau : cet accord gouvernement à gouvernement est verrouillé par une clause de confidentialité, ce qui suscite des questionnements, notamment sur les termes du remboursement de la ligne de crédit.  Une société de consultance indienne, RITES, a été mandée par le gouvernement indien pour superviser l’ensemble du projet, notamment l’exécution des travaux par la société Larsen and Toubro et la gestion des coûts.

 

 Le Dr Das Montanah, Chief Executive Officer de MEL, annonce d’ores et déjà : « Nous avons calculé que Metro Express sera rentable en 2022. À ce moment, l’activité aura atteint sa vitesse de croisière.  Pour réaliser ce surplus, nous comptons sur un mix de recettes des tickets et les ventes d’espaces publicitaires, entre autres.  Et le surplus sera éventuellement réinvesti dans le développement du réseau».  Cette compagnie privée, dont l’unique actionnaire est le gouvernement de Maurice, s’est chargée de coordonner et de superviser la mise en œuvre du LRV.    Son cœur de métier étant le transport public par voie ferroviaire, elle est réglementée par la National Land Transport Authority sous l’égide du ministère des Infrastructures publiques et du transport terrestre.

 

Les Urbos 300 construits par le groupe Construccionnes y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) peuvent transporter environ 300 passagers, répartis sur sept wagons.  Le dépôt se situe à Richelieu où des experts et techniciens ont calibré les dispositifs de changement de voie «à 2 mm près», comme le font ressortir R. K. Balamurali et Chirag Singhal, Project Managers System de la société Larsen and Toubro.  «Les températures tropicales sont idéales pour l’installations des rails et la mise en place du câblage aérien», note R. K. Balamurali.  Au même lieu, se situe aussi la tour de contrôle, l’Operations Control Center qui pourra suivre la position exacte des LRV et contrôler l’aiguillage.

 

 

Les LRV fonctionnent sur des rails dédiés et desserviront à terme 19 stations, sur un parcours de 26 kilomètres reliant la capitale, Port-Louis, à plusieurs grandes villes à forte densité de population, soit Rose-Hill, Quatre-Bornes et Curepipe.  Les trams se déplacent à une vitesse de croisière de 70 km/h.  Comme ils circulent sur une voie dégagée, l’État mise sur le fait qu’ils contribueront à désengorger les routes, entre autres effets positifs.  «Améliorer les infrastructures de transport public, c’est améliorer la vie de tous les citoyens et influencer la croissance à plusieurs niveaux et à travers les générations», fait remarquer le Dr Das Mootanah, qui insiste sur les effets multiplicateurs de l’introduction du LRV comme mode de transport public à Maurice.

«Metro Express permettra une dimunition de 20 % à 30 % de la congestion routière»

55 000 PERSONNES TRANSPORTÉES QUOTIDIENNEMENT

Dans une étude de 2008 réalisée par la Road Development Authority, la perte  directement liée à la congestion routière était évaluée à Rs 4 milliards chaque année.  Selon la projection établie, cette perte à l’horizon 2030 se chiffrerait à Rs 10 milliards par an.  Une autre étude, élaborée par la National Transport Authority en 2012, faisait ressortir une croissance annuelle de 2,2 % du parc automobile à Maurice.  Aujourd’hui, il y a environ 560 000 voitures en circulation dans l’ile pour une population d’environ 1,2 million d’habitants.

 

 

Le Dr Das Mootanah fait valoir le fait que Metro Express apporte un souffle nouveau et le choix de voyager autrement qu’en prenant sa voiture ou en combinant plusieurs modes de transport.  «Nous tablons sur une utilisation quotidienne du métro léger d’environ 55 000 personnes quand nous serons complètement opérationnels sur toute la ligne, de Port-Louis à Curepipe.  Nous visons parallèlement une dimunition de  20 % à 30 % de la congestion routière», soutient-il.  Rien que sur le trajet Rose-Hill – Port-Louis, poursuit-il, il y a un trafic très dense.  Et prévoit l’adoption du Metro Express par environ 20 000 à 25 000 personnes sur cet axe, pour la phase 1 seulement.  Le transport multimodal a été étudié pour que les autobus continuent à fonctionner, y compris sur 19 nouvelles routes.  55 feeder buses électriques desserviront d’ailleurs les stations de métro pour la phase 1.  Ainsi, il y aura une grande fluidité des interconnexions entre modes de transport.

Un cas d'étude pour l'océan Indien

Interrogé sur l’utilité d’un système de Light Rail Vehicle comme investissement utile pour d’autres pays de l’océan Indien, voire sur le continent africain, le Dr Das Mootanah est d’avis que chaque pays doit prendre des décisions en fonction de son contexte.  «Les Seychelles, tout en étant un petit pays, nous ont approchés.  Leur intention est de considérer ce moyen de transport dans un but touristique.  Des représentants de la Réunion nous ont aussi approchés en vue d’un partage d’expérience et d’expertise pour leur projet de développement Madagascar, par exemple, est un vaste pays qui pourrait grandement bénéficier de ce type de moyen de transport.  Mais il faut bien considérer l’aspect financier.  Les pays qui veulent le mettre en place devront la faire parce que cela répond à un réel besoin.  À Maurice, ce projet a été réalisé pour tous les Mauriciens, pour leur faciliter le transport entre la maison et le travail, pour décongestionner les routes et pour leur offrir un choix supplémentaire en matière de transport public.», dit-il.

 

 

SOURCE : BUSINESS MAGAZINE