Le dirigeant d'une société en liquidation judiciaire n'a pas été sanctionné pour tenue de comptes non certifiés par le commissaire aux comptes car le refus de certification était fondé sur les dysfonctionnements des logiciels de gestion des stocks de la société.
Le ministère public demande qu'une mesure d'interdiction de gérer soit prononcée contre le dirigeant associé majoritaire d'une société en liquidation judiciaire commercialisant en ligne des articles de textiles (société dont l'insuffisance d'actif était de 10 millions d'euros pour un chiffre d'affaires annuel de près de 15 millions) pour deux griefs : tenue d'une comptabilité irrégulière et paiement préférentiel d'un créancier de la société au détriment des autres après la cessation des paiements (C. com. art. L 653-5, 4° et 6°).
La cour d'appel de Paris rejette cette demande pour les raisons suivantes.
Le commissaire aux comptes a certes refusé de certifier les comptes annuels mais sa décision n'était pas due à une comptabilité irrégulière : elle était fondée sur des dysfonctionnements du logiciel informatique de gestion des stocks dont la société s'était récemment dotée, ces dysfonctionnements ayant empêché le commissaire d'évaluer le stock. Même si une telle circonstance ne constituait pas un cas de force majeure exonérant le dirigeant de sa responsabilité, une sanction ne pouvait pas être prononcée à son encontre pour cette irrégularité.
La cour d'appel refuse également de sanctionner le paiement préférentiel d'un créancier (33 600 €) après la date de cessation des paiements retenue par le jugement d'ouverture de la procédure aux motifs suivants :
- le dirigeant a renoncé à percevoir sa rémunération plus de huit mois avant la cessation des paiements ;
- il a concédé à la société l'usage d'une marque qui lui appartenait en propre avant de la lui céder dans le cadre des discussions engagées avec la banque de la société, laquelle souhaitait constituer une garantie sur un actif immatériel ; le dirigeant n'a pas perçu le prix de cession, qui a été porté au crédit de son compte courant d'associé ;
- il a abandonné sa créance en compte courant (216 000 €) ;
- deux prélèvements sont intervenus alors que la société avait été placée sous la responsabilité d'un mandataire ad hoc à la demande du dirigeant (un mois avant la date de cessation des paiements), ce qui suppose que l'état de cessation des paiements, qui, en matière de paiement préférentiel, ne dépend pas de la date fixée par le jugement d'ouverture, n'était pas alors acquis ; le reliquat des prélèvements litigieux pouvant être reproché au dirigeant ne s'élevait qu'à 1 800 €.
à noter : 1. Les juges écartent toute sanction, notamment, lorsque la liquidation judiciaire de la société a eu d'autres causes que la mauvaise gestion du dirigeant. C'était le cas en l'espèce, où la cour d'appel a pris soin de relever que la société avait connu un développement rapide (son chiffre d'affaires avait augmenté de 250 % en deux ans, pour s'établir à 14 millions d'euros) ; celui-ci avant nécessité de nombreux investissements et, en particulier, la conception d'un nouveau site de vente en ligne ; les difficultés étaient nées du refus de la banque de la société de participer à une nouvelle levée de fonds et d'un retard de neuf mois dans la livraison du site, qui avait ensuite présenté de nombreux dysfonctionnements.
En l'espèce, les irrégularités comptables n'étaient pas imputables au dirigeant. En revanche, le dirigeant est sanctionné lorsqu'il est à l'origine des irrégularités ou du défaut de comptabilité ou même de la perte de celle-ci. Une mesure d'interdiction de gérer a ainsi été prononcée à l'encontre d'un dirigeant qui, après la mise en liquidation judiciaire de la société, avait autorisé la vente du matériel informatique sur lequel la comptabilité était enregistrée (CA paris 18-12-2008 n° 08-3590 : RJDA 6/09 n° 567).
2. La cour apporte ici une précision inédite en matière de paiement au profit d'un créancier pendant que la société est sous mandat ad hoc : un tel paiement est présumé ne pas être fait en état de cessation des paiements. Rappelons néanmoins que la désignation d'un mandataire ad hoc ne dispense pas le dirigeant de déclarer la cessation des paiements de la société (Cass. com. 10-5-2005 n° 720 : RJDA 8-9/05 n° 1025).