Pourquoi un cédant deviendrait-il salarié de son entreprise suite à la cession ?

Le marché de la transmission d’entreprise concernerait aujourd’hui près de 60 000 reprises d’entreprise par an. Les évolutions démographiques actuelles permettent d’estimer de 700 000 (selon l’INSEE) à 900 000 (selon CCI Entreprendre en France) le nombre d’entreprises qui va changer de main dans les 15 ans à venir. Ces données montrent l’importance et l’enjeu économique de la transmission d’entreprise : transfert du savoir-faire, continuité de l’emploi et de la vie territoriale, poursuite de la croissance, développement dans un environnement dominé par la mondialisation…

 

A l’heure où les transmissions familiales régressent (moins de 10% des transmissions), 59% des cas concernent des repreneurs qui n’ont aucun lien avec le cédant. Dans les entreprises de 10 salariés ou plus le risque d’échec de la transmission est deux fois moins élevé lorsque le cédant reste dans l’entreprise. 34% des transmissions sont réalisées avec un accompagnement du cédant sur une durée moyenne de 16 mois. Dans 39% des cas, le lien entre repreneur et cédant est totalement coupé.

 

Quels sont donc les raisons qui incitent le dirigeant à rester dans l’entreprise post cession ? Dans le contexte cité, nous pouvons distinguer des raisons qui sont rendues nécessaires pour la réalisation de l’objectif de cession, indépendamment du risque encouru, et des raisons qui sont d’ordre à diminuer le risque d’échec de la transmission.

 

Cas d’accompagnements indépendants du risque de défaillance

 

Retraite du cédant

 

On peut noter que la situation personnelle du dirigeant nécessite parfois l’exercice d’une activité salariée de ce dernier dans l’entreprise cédée. Tel est le cas d’un dirigeant dont la situation sociale ne lui permet pas, au moment de la cession, de disposer de prestations de retraite faute de suffisamment de trimestres cotisés. L’accompagnement envisagé se formalisera donc par l’établissement d’un contrat de travail sur une durée déterminée. Toutefois, ce contexte de reprise risque de ne plus être constaté suite à la loi de finance rectificative de 2005 qui prévoit des dispositions fiscales d’exonération sur les plus-values de cession dans le cadre de départ en retraite du dirigeant.

 

Réglementation

 

Dans le cadre d’activités réglementées, la transmission de l’entreprise peut être conditionnée au respect de certaines contraintes qui incombent au repreneur. 

Ces contraintes peuvent être :

  • d’ordre législatif ; comme c’est le cas des activités immobilières pour lesquelles le décret 2005-1315 modifiant le décret 72-678 oblige le représentant légal de l’entreprise à remplir des conditions d’aptitude professionnelle (par exemple disposer du baccalauréat et avoir exercé un emploi subordonné se rattachant à une activité semblable pendant 3 ans). Ainsi le cédant devra conserver son statut de représentant légal, post-cession, le temps que le repreneur puisse remplir les conditions susvisées.
  • d’ordre contractuel ; tel est le cas de bon nombre de concessions automobiles, dont la cession de l’entreprise est soumise à l’accord du constructeur, dans le cadre d’un contrat de distribution sélective, qui oblige généralement le repreneur à disposer d’une expérience dans le secteur automobile. Là aussi, le cédant, faute d’avoir pléthore de candidats à la reprise, devra conserver son statut bien qu’il ne soit plus associé à 100%. Le cas peut également se rencontrer lorsque le dirigeant cédant a signé un contrat de franchise intuitu personae et pour lequel le franchiseur a un droit de regard sur son successeur. Ce cas se retrouve souvent, notamment dans une reprise par essaimage, du fait que le repreneur est issu d’un secteur d’activité différent (16% des reprises sont réalisées par des dirigeants ou cadres de direction venant d’autres secteurs d’activité).

Développement

 

Sur des activités en fort développement, essentiellement dans le secteur de l’industrie et des NTIC, la croissance passe par la réalisation d’investissements lourds que le seul fonds de roulement de l’entreprise ne peut financer. C’est le cas des start-up où les levées de fonds sont rendues nécessaires à différents stades de l’activité Le recours à des capitaux développement auprès d’institutions de financement spécialisées ou de business angels sont les seuls à même de mobiliser des fonds importants en contrepartie d’une forte participation dans l’entreprise. Le cédant peut donc rester promu dans la société à un poste salarié de direction technique par exemple.

 

Il se peut également que dans le cadre de son plan de développement, le dirigeant recherche des partenaires autres que financiers, afin de créer un pôle de compétences techniques ou commerciales. Dans ce cas, l’entrée de nouveaux associés risquent de rendre la structure capitalistique de la société différente et par conséquent de modifier le statut social du dirigeant qui se retrouve occuper un emploi sous un lien de subordination.

 

Lorsque le repreneur est une personne morale (25% des opérations de transmission pour la période 1997 à 2003) dans le cadre d’un adossement, l’opération, réalisée à 76% des cas pour l’acquisition de parts de marché nouvelles, peut prévoir d’attribuer au dirigeant cédant un poste salarié pour la direction du nouvel établissement du groupe. En effet, les compétences de manager du cédant, sa connaissance du fonctionnement de l’entreprise et du personnel peuvent être une réponse aux problèmes éventuels liés à la transition vers une culture de management de groupe de sociétés.

 

Face à ces différentes motivations qui sont essentiellement intrinsèques à des obligations rendues par le contexte de la cession, il existe d’autres catégories de raisons pour lesquelles le cédant se voit, non dans l’obligation mais dans l’intérêt des parties et surtout de l’entreprise, de rester dans l’entreprise en tant que salarié. A ce titre nous pouvons citer des contraintes liées au financement de la reprise, à l’immersion du repreneur dans l’entreprise et au caractère affectif du cédant pour son entreprise.

 

Cas d’accompagnements limitant le risque de défaillance Financement de la reprise

 

62% des reprises sont réalisées à travers une société holding de rachat. Par rapport à des études menées en 1997, OSEO BDPME constate un rajeunissement des repreneurs qui s’accompagne d’une baisse globale de la part des apports personnels dans les montages financiers (dans 70% des cas l’apport personnel ne représente que 30% du montant total de l’opération). Ce constat implique donc une croissance du risque liée à un remboursement plus important de la dette financière contractée pour financer la reprise. Ceci a obligé 11% des repreneurs à renoncer à des investissements initialement prévus et 29% ont dû reporter ces investissements en raison des charges financières liées à l’opération de reprise. 

 

Les opérations de transmission de TPE et PME ont donc à se prémunir contre un risque spécifique issu du remboursement d’une dette stérile durant toute la durée d’octroi du prêt (23% des repreneurs ont trouvé le montage financier trop tendu et 36% estiment que les charges financières sont trop lourdes). Ce facteur de croissance de la part de la dette dans les montages de reprise est lié, ces dernières années, à une conjoncture économique marquée par des taux bas et à l’augmentation des prix d’acquisition des entreprises. 

 

Ces deux derniers facteurs peuvent être atténués par une volonté du cédant à pérenniser l’entreprise et à en faciliter l’accès à un potentiel repreneur sans pour autant nuire à ses intérêts personnels, c’est à dire, pour beaucoup, le prix qu’il souhaite retirer de la cession (29% des repreneurs trouvent que le prix d’acquisition était élevé). Dans les deux schémas envisagés ci-après, le dirigeant reste donc pendant un certain temps salarié de la structure objet de la cession. Sans vouloir, « rogner » sur son prix de vente, le cédant peut faciliter l’accès du repreneur dans la société de la façon suivante :

Un rachat progressif des titres sociaux peut être envisagé sur une durée à convenir, avec un rachat initial de façon à ce que le repreneur détienne la majorité des titres. Il peut également être négocié un crédit vendeur (15% des montages sont réalisés avec l’aide d’un crédit vendeur). Pour les opérations d’acquisition de fonds de commerce, il peut être prévu un crédit vendeur sur le montant du stock à reprendre.

 

Le cédant peut conserver une faible détention de titres sociaux de façon à maintenir une partie des comptes courants dans la société. Un échéancier de remboursement de ces comptes courants est défini au préalable avec rachat des titres restants à l’arrivée de son terme. Ce schéma induit un second avantage : les comptes courants peuvent ainsi jouer le rôle de la garantie de garantie d’actif et de passif qui s’atténue au fil du temps et des remboursements.

 

Le prix du cédant peut être plus facilement accepté par la mise en place d’une clause de earn out : l’objectif est de convenir d’une indexation du prix de cession des titres sociaux en fonction de ratios à définir (qui peuvent être un pourcentage de croissance de chiffre d’affaires, un taux de rentabilité d’exploitation…). Ainsi le dirigeant restant au sein de la société a tout intérêt à maintenir un niveau d’activité ou de rentabilité importante.

 

Degré d’immersion du repreneur

 

La connaissance de l’entreprise par le repreneur est un facteur qui atténue de façon importante le risque de défaillance de la transmission. En effet, on constate que ce risque est quasi nul dans le cadre de transmission familiale et qu’un ancien salarié a deux fois plus de chance de réussite qu’un tiers extérieur. Ce risque est, par contre, d’autant plus important que le repreneur est issu d’un secteur d’activité différent.

 

Les problèmes rencontrés après l’opération de reprise, outre les raisons évoquées concernant l’aspect financier, portent essentiellement sur des problèmes de compétences et de productivité des ressources humaines (cités à plus de 40%), sur le manque d’informations sur le fonctionnement interne de l’entreprise (cité à environ 15%), sur les mauvaises relations avec les salariés (cité à environ 10%). Les repreneurs jugent, entre 32% et 48% d’entre eux selon les secteurs d’activité, l’information commerciale fournie par le dirigeant médiocre, mauvaise ou erronée. 

 

Ce pourcentage s’élève à 47% environ en ce qui concerne l’information financière. L’accompagnement du cédant permet de pallier à l’insuffisance de connaissances du repreneur sur le fonctionnement de l’entreprise et évite ainsi une situation de rupture. Il permet au repreneur de s’approprier l’entreprise et de connaître sa culture. Cette période d’immersion est d’autant plus longue et importante que le dirigeant s’est imposé en tant que maître incontesté et que l’entreprise s’est développée autour d’un véritable culte du dirigeant (intuitu personae fort). 71% des entreprises transmises ont plus de 10 ans d’ancienneté, ce qui a ainsi pu développer une relation « affective » forte entre le dirigeant et ses salariés et également entre le dirigeant et sa société.

La transition doit donc se faire en douceur, ce qui amène le dirigeant à conserver une activité salariée dans l’entreprise post-cession, le temps de passer les rênes.

 

Conclusion

 

Le temps dans la préparation de la cession reste donc une variable importante qu’il convient de ne pas négliger : selon un rapport de OSEO BDPME, le taux de défaillance (ou pourcentage d’échec) des opérations de transmission s’établit à 5% deux ans après l’opération, 12,5% quatre ans après l’opération, 21% six ans après l’opération. L’intégration du nouveau dirigeant reste donc un élément important pour la réussite d’une transmission. L’accompagnement du dirigeant peut donc être, outre des motivations personnelles qu’il pourrait trouver à rester dans l’entreprise, un facteur clé de réussite d’une transmission et, par suite, de la pérennité de l’entreprise qu’il a lui même créée ou su développer. Toutefois, il faut avoir conscience que le risque de mésentente n’est pas à exclure et peut être difficile à supporter et à gérer.

 

Comment concilier cette période de transition ?

 

Cette période aussi constructive et formatrice qu’elle puisse être pour un repreneur et pour un cédant n’est pas si simple à gérer. Trop longue elle pourra aller à l’inverse de l’objectif recherché, à savoir la prise en main de la direction par le repreneur, en rendant confus les rôles et le pouvoir de chacun auprès des tiers et du personnel de l‘entreprise. Trop courte, elle ne permettra pas au repreneur d’avoir accès à l’ensemble des informations et de s’imprégner de la culture d’entreprise existante.

 

Si le passage de relais peut se faire en douceur, le contrôle et le pouvoir est lui immédiat : juridiquement seul le repreneur endosse dorénavant l’ensemble des responsabilités. Il faut à tout prix éviter une direction bicéphale.

 

Quelques recommandations afin d’éviter au maximum tout désagrément durant la vie commune entre le cédant et le repreneur :

 

Définir les rôles du cédant : l’objet du contrat de travail sert à cela. Le rôle du cédant est de conseiller, de guider le repreneur et il doit accepter de renoncer à tout pouvoir décisionnel. Il doit effacer son ancien statut face aux salariés et se consacrer uniquement à son nouveau rôle. Sa mission peut être technique ou commerciale mais ne doit en aucun cas porter sur une responsabilité managériale.

Eviter de fixer une rémunération supérieure à celle du repreneur : la rémunération du cédant doit être en rapport avec la mission du contrat de travail précédemment définie et ne doit pas cacher un supplément de prix.

Faire respecter la nouvelle hiérarchie.


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