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ZLEC : UNE CHANCE POUR LE DÉCOLLAGE DE L’AFRIQUE

Le dernier sommet de l’Union africaine (UA), tenu à Niamey au Niger du 7 au 8 juillet 2019, était principalement consacré à la mise en œuvre de l’accord portant sur la création de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC). Avec un rappel d’usage qui a justifié ce projet : pour lutter efficacement contre le chômage et la pauvreté, les pays africains doivent réaliser une croissance économique forte et durable.

Faire des progrès dans le commerce intra-africain

De fait, l’Afrique a un niveau de commerce intra-zone de loin en deçà de celui des autres continents : l’Asie, l’Europe ou encore l’Amérique, qu’elle soit du Nord ou la-tine. Le commerce entre les pays d’Afrique ne représente que 13% du commerce africain. A titre de comparaison, c’est 50% entre les pays d’Asie et 70% entre les pays d’Europe. A l’évidence, le premier défi commence là : faire d’immenses progrès dans le commerce intra-africain, de manière à contribuer à la croissance économique africaine et à la création d’emplois pour absorber la dizaine de millions de jeunes Africains qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année.

 

La ZLEC vise la création d’un marché unique sans barrière douanière à l’échelle de l’Afrique tout entière, qui représente un marché de plus de 1,2 milliards de personnes et un Produit intérieur brut (PIB) de 2500 milliards de dollars US. C’est un potentiel économique énorme, comparable à celui de l’Inde, et un atout pour l’industrie africaine. A terme, ce nouveau marché devrait générer plus de taxes à l’importation et à l’exportation entre pays africains pour 90% de lignes de produits. Selon l’Union africaine, la mise en œuvre de la ZLEC permettra d’augmenter de plus de 60% le niveau de commerce intra-africain d’ici à 2022.

 

 

A la date du 8 juillet 2019, 54 sur 55 États avaient déjà signé le traité de la ZLEC parmi lesquels 27 l’ont ratifié. Même le géant nigérian, qui a longtemps hésité, a rejoint le groupe des pays qui veulent avancer. Ce qui le rang opérationnel. Mais de là à la mise en œuvre et, surtout aux effets escomptés, il y a du chemin, tellement les défis sont nombreux.

Opérer des réformes structurelles

Le premier défi, largement partagé par la Banque Africaine de Développement (BAD), est colossal : pour réussir sa Zone de libre-échange continentale, l’Afrique a besoin de profondes réformes structurelles pour diversifier son économie. En commençant par deux priorités : l’industrialisation et la création d’un grand marché continental. Si des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie ou encore les pays du Maghreb ont une avance sur ce terrain, qu’en est-il des autres, notamment dans des régions comme l’Afrique centrale où presque tout est importé, y compris des produits alimentaires de consommation courante et de la brocante ? Dans les circonstances actuelles, ceci expliquant cela, les premiers pays cités ne tireront-ils pas plus profit de la situation que les autres.

Réduire les importations

Il est donc question, d’abord et avant tout, de repenser les politiques industrielles des pays africains, de manière à réduire significativement, à terme, le flux massif des importations. Cette opportunité est, paradoxalement, le principal obstacle potentiel à la réussite de la ZLEC : les pays européens, la Chine, le Brésil et l’Inde, qui n’ont plus que le marqué africain pour conforter leur commerce extérieur et qui se battent déjà entre eux pour son contrôle, accepteront-ils de laisser tomber ce juteux marché ? Rien n’est moins sûr.

Harmoniser les législations

L’autre défi est celui de l’harmonisation des législations commerciales régionales. L’Afrique est composée de 14 zones régionales différentes dont il va falloir synchroniser les législations en matière commerciale. Ensuite, il faudra inventer des modalités à la fois souples et originales de la libre circulation des personnes et des marchandises. Il faudra que les États se mettent d’accord sur ce sujet. Ce qui n’est pas gagné d’avance d’autant plus que dans certaines sous-régions comme la CEEAC, la libre circulation des personnes et des biens n’est pas encore effective.

Développer les infrastructures

Autre défi : celui du développement des infrastructures. Il va falloir que les États trouvent de l’argent nécessaire pour construire les infrastructures d’intégration régionale. Les pays partenaires signalés plus haut accepteront-ils de financer un tel projet qui, à terme, va limiter leurs propres exportations ? Autrement dit, accepteront-ils de scier la branche sur laquelle ils sont si sereinement assis ?

La question des règles d’origine

Enfin, comment sera abordée la question des règles d’origine ? Il faudra s’assurer que les produits made in Africa sont effectivement les produits fabriqués en Afrique et non pas des importations déguisées.

Une opportunité pour les opérateurs économiques

Pour autant, la mise en œuvre de la ZLEC reste une opportunité pour les opérateurs économiques installés en Afrique : un accès à moindre coût de transport, à un marché de plus 1,2 milliards de personnes, aux matières premières et autres facteurs de production qui abondent sur le continent. Le résultat devrait être une réduction des coûts des facteurs de production et par conséquent un accroissement des profits.

 

Si l’on prend, en particulier, le cas des entreprises camerounaises, la ZLEC est une opportunité de conquérir de nouveaux marchés, d’exporter leurs produits et leur sa-voir-faire, notamment dans le secteur agricole, mais aussi dans le secteur industriel et des services, sur l’ensemble du continent.

 

Dans le secteur agricole, le Cameroun dispose d’un avantage comparatif que lui confère sa diversité agroécologique. En effet, le pays dispose de six zones agroécologiques. L’essentiel des produits agricoles produit dans les autres pays d’Afrique peut l’être au Cameroun.

 

 

Dans le secteur de l’industrie, dans plusieurs branches, la production est supérieure à la demande nationale. Il s’agit notamment des tôles, des boissons alcoolisées et non alcoolisées, des citernes bennes, des huiles végétales et dérivés d’huile de palme, du savon, des pâtes alimentaires, des produits cosmétiques, du fer à béton, du ciment, des charpentes métalliques, etc. Le surplus de production pourrait être exporté dans les autres pays africains. Dans le secteur des services, les opérateurs économiques camerounais exportent déjà leur savoir-faire dans plusieurs domaines : services financiers ; commerce des produits pétroliers ; transport ; logistique ; transfert d’argent ; commerce général, etc. La ZLEC devrait permettre aux entreprises de ces branches de renforcer leur positionnement en Afrique.

Comment tirer le maximum de la ZLEC ?

Pour tirer le maximum de profit de la ZLEC, le Cameroun devrait mettre en place une véritable stratégie d’accompagnement des entreprises dans tous les secteurs d’activités. C’est le lieu de déployer la stratégie des champions nationaux en discussion depuis quelques années au niveau du Gouvernement et ses partenaires du secteur privé. Dans le secteur agricole, il est important de passer à l’agriculture de seconde génération en facilitant la mécanisation, l’accès aux engrais et aux semences améliorés, l’accès au foncier, le développement des bassins de production, etc.

 

Dans le secteur secondaire, il est nécessaire de renforcer la compétitivité des indus-tries locales et de poursuivre le combat contre le commerce illicite. A cet effet, les éléments suivants devraient être considérés : l’application des textes en vigueur qui visent à limiter les effets de la concurrence déloyale des produits importés ; la lutte contre la fraude et la contrebande aux frontières ; l’application des normes rendues d’application obligatoire ; l’adoption d’une fiscalité incitative visant à combler le défi-cit de compétitivité des entreprises camerounaises…

 

 

En somme, la ZLEC devrait permettre d’accroitre les échanges intra-africains et booster la croissance et le développement économique et social en Afrique. Sa mise en œuvre requiert l’implémentation de nombreuses réformes et actions au niveau du continent pour faciliter la libre circulation des personnes et des marchandises. Mais sans sources de financement propres, elle reste cependant tributaire de la volonté de partenaires extérieurs dont on peut, d’emblée, douter de la coopération.

Source: AFRIQUE EXPANSION