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Services financiers: Maurice prise en tenaille entre l’OCDE et l’Union européenne

Le Parlement européen (à g.) à Bruxelles et le siège social de l’OCDE à Paris. Qui des recommandations de l’UE et de l’OCDE auront préséance aux yeux des autorités mauriciennes ?
Le Parlement européen (à g.) à Bruxelles et le siège social de l’OCDE à Paris. Qui des recommandations de l’UE et de l’OCDE auront préséance aux yeux des autorités mauriciennes ?

 

Les évènements qui ont secoué le moral des opérateurs du secteur des services financiers le 4 février illustrent bien les efforts considérables que fait l’île Maurice pour sauvegarder coûte que coûte ce secteur qui, au fil du temps, s’est positionné comme un de ses principaux piliers économiques. De quoi s’agissait-il ? Une confusion dont les effets ont été dissipés et amortis de justesse. La confusion a émergé à la lecture d’une lettre du bureau du Premier ministre à l’intention de Fabrizia Lapecorella, membre du bureau du comité de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette lecture donne à penser que le gouvernement a tenu un double langage par rapport à la posture de l’Union européenne concernant le système d’exemption partielle. C’est une mesure fiscale incitative introduite dans le Budget 2018-2019.

 

Un double langage parce que, dans un premier temps le gouvernement est venu affirmer que ce nouveau système fiscal est conforme aux exigences européennes et qui, dans un deuxième temps, s’avère être non conforme. D’où vient cette confusion ? Elle tire son origine dans le fait que certains n’ont pas jugé utile de préciser que le système d’exemption partielle a été soumis à deux exercices d’évaluation. L’un par les techniciens de l’OCDE dont la fonction pourrait être comparée à celle d’un chien de garde par rapport aux pratiques en cours dans le secteur financier et l’autre par l’Union européenne (UE), plus politique que technique.

 

Il a fallu une intervention de Sudhir Sesungkur, ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance, pour comprendre qu’il y a eu deux exercices d’évaluation et qu’il y a une nuance entre les deux. «Le rapport de l’OCDE a beaucoup d’importance pour nous»,affirme-t-il. «C’est un fait que la communication du gouvernement était basée sur le rapport de l’OCDE. Rapport qui dit que “Mauritius fulfils all the requirements of the BEPS Action 5, meaning it does not have any harmful practices in its tax regime”. Cela inclut le partial exemption system que l’OCDE a trouvé fully compliant. Le fait qu’une vingtaine de pays de l’UE (23 au total) font partie de l’OCDE, il n’y avait aucune raison pour nous de penser que Maurice n’était pas conforme aux règlements.»

 

Le ministre reconnaît toutefois des failles relevées par l’OCDE mais souligne également que tout a été fait pour être conforme aux exigences de cette organisation. «Il y avait un certain nombre de harmful tax practices qui ont été réglées grâce aux réformes majeures et en profondeur apportées par le gouvernement. Ce qui a fait que l’OCDE nous a upgraded au niveau de compliant status après les amendements apportés à notre régime fiscal»

 

Démarche unilatérale

 

Puis, il y a la démarche initiée par le Code of Conduct Group du conseil de l’Union européenne. «L’UE a finalement décidé de faire une autre évaluation selon ses propres critères. » Dans un commentaire appuyé à l’express, le ministre qualifie la démarche du Code of Conduct Group de démarche unilatérale. Entendons sans échanges préalables avec les autorités mauriciennes. Et la lettre du Bureau du Premier ministre s’apparente plus à une soumission obséquieuse qu’autre chose et ce dans le souci de ne pas frustrer les maîtres européens.

 

Et Sudhir Sesungkur d’en expliquer la posture du gouvernement dans cette affaire. «Le gouvernement attache une très grande importance à la réputation de notre centre financier et va déployer tous les efforts nécessaires pour qu’il en reste ainsi. Nous sommes convaincus que l’UE croit dans la sincérité et la bonne foi de Maurice.»

 

Dans une déclaration à l’express, le ministre a expliqué dans quelle condition difficile le gouvernement doit gérer ses relations avec l’Union européenne par rapport à son secteur des services financiers. Qui des recommandations de l’OCDE et de l’UE devront avoir préséance aux yeux des autorités mauriciennes ? C’est ainsi que Maurice se trouve coincée comme prise en sandwich entre deux pouvoirs.

 

Si le ministre n’a pas de vive voix soulevé la question, tel n’a pas été le cas pour un opérateur. «N’avons-nous pas le droit de concevoir en tant que pays indépendant un régime fiscal selon nos critères ? Faut-il absolument et toujours la bénédiction soit de l’OCDE soit de l’Union européenne pour approuver un système fiscal que le pays souhaite introduire ? Ne sommes-nous pas devant un cas de violation de notre souveraineté nationale ?» Il devait ensuite se raviser pour souligner que face à des organisations aussi puissantes que l’UE ou l’OCDE, Maurice n’a d’autre choix que de se soumettre… sans broncher.

 

Dans une lettre intitulée «CYCLONE WARNING: BEPS COMING TO MAURITIUS », publié dans l’express en mai de 2017, l’avocat Marc Hein avait soulevé la pertinence de l’intervention de l’OCDE dans les affaires du pays. «We are now being told that what we have achieved so far is wrong, that low taxation is immoral and that other people elsewhere, who know better, should dictate to us the way we ought to tax our taxpayers.»

 

Il n’a pas caché son agacement face à cette attitude. «This is annoying to say the least and there is apparently no way out from this system. The instructions are clear: comply or your country will be blacklisted and potentially amenable to direct and/or indirect sanctions.»

 

Marc Hein n’a pas hésité à qualifier la posture de l’OCDE d’atteinte à la souveraineté nationale. «I would in legal terms put it this way: under public international law, this attitude amounts to an illicit abuse of power of an international organisation in a dominant position. That attitude has been described as a new form of imperialism and neo-colonialism whereby new rules are being - unilaterally and to the detriment of our own national interest - imposed by rich countries (which by the way are members of the OECD) on countries like ours.»

 

 

Source: l'express.mu