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Didier Robert veut faire sa révolution fiscale et sociale

Didier Robert,  Président du conseil régional de La Réunion depuis 2010 et Sénateur de 2014 à 2017.
Didier Robert, Président du conseil régional de La Réunion depuis 2010 et Sénateur de 2014 à 2017.

Le président de la Région Réunion, également sénateur, veut qu’un maximum de décisions se prennent à La Réunion plutôt qu’à Bercy (où siège le ministère français des Finances). D’où son idée d’autonomie économique qui passe par des expérimentations permises par la constitution française.

 

L’Eco austral : Vous reprochez à Paris de gérer l’Outre-mer « à la petite semaine » et vous réclamez une autre relation où les régions auraient plus d’autonomie sur le plan économique et fiscal. En revanche, l’autonomie politique reste pour vous un sujet tabou. Sans doute parce qu’elle a été revendiquée historiquement par le Parti communiste réunionnais qui en a fait, à un certain moment, une étape vers l’indépendance. Mais on pourrait se demander si l’autonomie politique n’est pas indispensable à une véritable autonomie économique, le seul moyen de se libérer du « jacobinisme parisien » ?

 

Didier Robert : L’autonomie politique n’est pas un sujet tabou, c’est simplement un sujet inutile au stade où nous sommes. La Réunion est un territoire français qui a fêté en 2016 ses 70 ans de départementalisation et les Réunionnais sont fiers et heureux d’être français. Nous sommes aussi un territoire européen et ces deux appartenances comportent des avantages et des inconvénients. Nous avons un bon niveau d’infrastructures, même si un besoin de rattrapage se fait encore sentir. Nous sommes au standard européen dans la plupart des domaines et notamment sur les questions sociales. Tout cela est très bien, mais est-ce que ça suffit pour dynamiser un territoire et assurer à ses entreprises un développement durable ? Même si nous n’avons pas de matières premières, nous avons des atouts comme, par exemple, dans l’énergie, avec l’hydraulique et le solaire qui nous rendent capables d’atteindre l’autonomie électrique. Un dossier qui va de pair avec celui du tourisme durable. D’autres territoires ont réussi ce pari. Mais nous sommes à la traîne malgré un réel potentiel. Parmi nos points forts, il faudrait citer également notre filière agroalimentaire, qui montre la capacité des Réunionnais à produire de la qualité mais doit évoluer au-delà de l’import-substitution en s’appuyant sur la recherche et l’innovation. De même, La Réunion est en pointe dans le bâtiment tropical mais se trouve parfois freinée par des normes inadaptées.

Malgré tous ces atouts et ces éléments forts, ça ne marche pas suffisamment et nous enregistrons un taux de chômage de plus 25%. Ce n’est pas acceptable. 

 

L’Eco austral : Proportionnellement, La Réunion crée nettement plus d’emplois que l’Hexagone, mais c’est la pression démographique très forte qui entraîne un tel taux de chômage. Qu’en pensez vous ?

 

Didier Robert : Nous connaissons tous cette explication et nous savons qu’il faut produire deux fois plus d’efforts. Mais je ne peux pas me satisfaire de l’explication démographique. Nous devons apporter de nouvelles réponses et c’est pourquoi Paris doit comprendre qu’un territoire comme le nôtre a besoin d’autonomie économique et fiscale. Que les grandes décisions ne doivent pas se prendre à Bercy, mais ici, à La Réunion.

 

L’Eco austral : En somme, vous prônez le principe de subsidiarité qui consiste à régler au premier échelon tout ce qui peut l’être ?

 

Didier Robert : Oui, mais pour y parvenir concrètement et sans entrer dans un débat institutionnel, je plaide pour le principe d’expérimentation que nous permet la Constitution française à travers l’article 72 qui vaut pour l’ensemble des territoires, sans parler de l’article 37 (permettant de modifier par décret un texte législatif à caractère réglementaire – Ndlr).

 

L’Eco austral : Vous rejoignez la position de votre vice-président, Jean-Paul Virapoullé, qui invoque l’article 72 quand on lui reproche l’amendement qu’il avait fait apporter à l’article 73. Un amendement qui exclut La Réunion de la possibilité donnée aux collectivités d’Outre-mer d’adapter des lois et règlement. Mais le problème de l’article 72, qui s’adresse à l’ensemble du territoire français, c’est qu’il permet aux collectivités des dérogations à titre expérimental et pour un objet et une durée limités ?

 

Didier Robert : L’article 72 permet une expérimentation sur une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans. En comparaison, il faut rappeler que la loi de finance redéfinit le cadre fiscal chaque année. À l’issue de la période d’expérimentation, on dresse un bilan et, s’il s’avère concluant, une application générale peut être décidée. 

 

L’Eco austral : Le problème des bilans, c’est qu’ils sont souvent controversés, comme l’a montré la défiscalisation Outre-mer où La Réunion fait figure de bon élève, mais pas forcément les Antilles ?

 

Didier Robert : Globalement, la défiscalisation a permis un niveau d’investissement et de croissance inégalé. Elle a d’ailleurs largement dépassé le stade de l’expérimentation.

 

L’Eco austral : Peut-on entrer dans le concret de la « révolution fiscale et sociale » que vous prônez ? Et notamment, que proposez-vous pour développer l’emploi alors que les trois quarts des entreprises réunionnaises n’emploient aucun salarié ?

 

Didier Robert : Je propose de diminuer par deux les charges sociales patronales et, en matière de fiscalité, une « flat tax » à 15%. Le deuxième grand sujet, c’est l’aménagement du territoire qui doit être repensé. Jusqu’alors, la politique d’aménagement se basait sur les grands investissements publics, l’équilibre du territoire et la préservation de l’espace. C’est insuffisant. On a occulté la grande question du foncier économique.

Concernant le volcan, par exemple, est-ce qu’on demeure sur la seule logique de la préservation et qu’on s’interdit d’y implanter un hôtel et un restaurant avec vue panoramique ? Il faut sortir du SAR (Schéma d’aménagement régional – Ndlr) pour entrer dans un Schéma régional d’aménagement économique qui prenne en compte la notion de mètres carrés par emploi. Cela entre dans le champ de compétence de la Région, mais doit être accepté par l’État dans le cadre de l’article 72.

 

L’Eco austral : Au sujet de l’aménagement du territoire, il y la question du très controversé parc national qui concerne 77% du territoire réunionnais et 44% pour le cœur du parc où les activités économiques s’avèrent très limitées. Vous prônez un statut de parc régional pour mieux gérer cet espace ?

 

Didier Robert : Un parc national, de par la loi, c’est un outil de préservation. On ne peut pas attendre qu’il fasse autre chose que préserver. Un parc régional, au contraire, est un outil de préservation et de développement. Voilà la différence ! Quand on met bout à bout le SAR (Schéma d’aménagement régional – Ndlr), le parc national et la loi montagne, on comprend que rien ne peut se faire au volcan. 

Mais pour finir de répondre à votre question sur les moyens de créer des emplois, je voudrais souligner l’importance de la coopération régionale et du développement international de La Réunion. Je ne conçois pas le développement de l’île sans sa capacité à se projeter, en tant que territoire français, dans l’océan Indien et le « grand océan Indien ». 

 

L’Eco austral : Est-ce que cela représente un réel levier de croissance ?

 

Didier Robert : La Réunion se situe à environ 3% de croissance, ce qui est trois fois mieux que l’Europe. Mais ce n’est pas suffisant. Il nous faudrait 5% ou 6% pour faire chuter la courbe du chômage. Et cela passe par l’internationalisation de nos entreprises, qui doivent être accompagnées parce qu’elles sont des TPE et PME, et par le développement des accords de coopération. L’État doit donc accepter que la Région et le Département puissent signer de tels accords comme, par exemple, dans les énergies renouvelables où La Réunion dispose d’un réel savoir-faire à exporter. Je suis intervenu à ce sujet, à Paris, le 1er février, devant le Syndicat des énergies renouvelables et j’ai fait deux propositions : qu’on revoie le cadre des normes et qu’on revoie le système de péréquation nationale pour le tarif de l’électricité. 

 

« Air Austral doit accompagner le développement économique de La Réunion, avec sa desserte de la France métropolitaine, mais aussi en s’affirmant comme la compagnie de référence dans l’océan Indien. »  DR

 

L’Eco austral : Ce système de péréquation permet aux Réunionnais de payer l’électricité au même prix qu’en France métropolitaine alors qu’elle coûte beaucoup plus cher à produire à La Réunion. En le remettant en cause, ne craignez-vous pas que les tarifs augmentent ?

 

Didier Robert : J’ai demandé que cette prise en charge – qui représente 50% à 60%des coûts de production - soit réorientée vers l’autoconsommation, ce qui ferait fleurir les initiatives. Cette réforme paraît incontournable pour que La Réunion réussisse pleinement sa transition énergétique. 

EDF a cependant investi 500 millions d’euros, en 2013, dans une nouvelle centrale thermique au fioul et elle doit l’amortir ? 

Il faut que cette centrale soit la plus vertueuse possible. Elle répond aux besoins en attendant que La Réunion ait atteint son autonomie électrique. La Région entretient d’ailleurs d’excellentes relations avec EDF qui est bien consciente de l’évolution en cours. La question est jute de savoir à quel rythme nous avançons. 

 

L’Eco austral : Pour rester dans le sujet de l’autonomie électrique, vous avez annoncé que la Région a décidé de reprendre le projet de climatisation marine (SWAC) de Saint-Denis et Sainte-Marie, abandonné par Engie ?

 

Didier Robert : Oui, mais l’on va réduire la voiture (le projet conduit par Engie se chiffrait à 160 millions d’euros – Ndlr). C’est la SPL Energies Réunion qui portera ce projet qui doit montrer que ça fonctionne. Mais surtout, l’enjeu est plus important que la climatisation, il s’agit de développer des activités annexes dans l’exploitation de l’eau de mer de grande profondeur.

Disposez-vous du foncier nécessaire pour de telles activités ?

Il y a la zone d’activités aéroportuaire Pierre Lagourgue et l’aéroport Roland Garros est d’ailleurs très intéressé par le SWAC pour sa climatisation. Mon objectif est que le montage juridique et la gouvernance de ce projet soient bouclés avant septembre 2017.

 

L’Eco austral : Pour en revenir à l’ouverture des entreprises à l’international, la Région a imposé une Maison de l’export qui rassemble tous les acteurs concernés. C’est un moyen de mettre fin à la cacophonie qui régnait ?

 

Didier Robert : L’export est un sujet qu’il faut aborder avec plus de sérieux. On s’était rendu compte qu’il n’y avait pas moins de 11 acteurs publics et para-publics pour accompagner les entreprises. Mais s’il n’y a pas une seule voix qui parle à l’extérieur, on perd en crédibilité. Il faut aussi une stratégie partagée au niveau local. La Maison de l’export, c’est ça : une seule voix, une stratégie et un guichet unique. Dans le prolongement, nos antennes de Maurice et de Madagascar affichent un premier bilan positif avec des responsables bien inscrits dans leur paysage économique. La prochaine antenne ouvrira aux Comores d’ici à quelques mois, nous sommes en train de recruter son responsable. Ensuite, nous essaierons de boucler Maputo avant la fin de l’année. 

 

L’Eco austral : Au moment où nous réalisons cet entretien, Air Austral est en compétition avec Ethiopian Airlines pour prendre 49% du capital d’Air Madagascar et être son partenaire stratégique. Un projet que vous avez dû valider puisque la Région est l’actionnaire majoritaire de la compagnie réunionnaise via la Sematra. N’est-ce pas trop risqué alors qu’Air Austral demeure fragile ? 

 

Didier Robert : Nous devons avoir une vision à long terme et Air Austral doit accompagner le développement économique de La Réunion. Avec sa desserte de la France métropolitaine, mais aussi en s’affirmant comme la compagnie de référence dans l’océan Indien. Elle doit être présente sur les grandes autoroutes d’accès à l’international et son partenariat avec Air Madagascar lui permet de desservir la Chine. Nous menons aussi une réflexion sur la desserte du Cap, en Afrique du Sud. 

On évoque aussi une filiale « Low Cost » d’Air Austral. Est-ce viable ?

Ça dépend si l’on réfléchit à 20 ans ou maintenant. Le nombre de voyageurs va augmenter fortement et Air Austral doit être la première à proposer une logique de « Low Cost » Sud-Sud. Il s’agit de proposer les premiers vols d’ici deux à trois ans, même si ça reste modeste au départ. 

 

L’Eco austral : Pour en finir avec Air Austral, on parle depuis plusieurs années de l’arrivée d’un partenaire stratégique dans son capital. Le groupe Dubreuil était intéressé, mais n’a pas eu, semble-t-il, les faveurs de la Région. Par la suite, des négociations avec le groupe Océinde ont été annoncées mais ne semblent pas avoir abouti à ce jour. Où en sommes-nous ? 

 

Didier Robert : C’est toujours d’actualité car la Région n’a pas vocation à rester dans le capital à un tel niveau. Mais il y a une dimension historique et stratégique à prendre en compte. Comme je le disais précédemment, Air Austral est aussi un outil de développement économique, en phase avec la coopération régionale. Par exemple, avec un partenaire stratégique, Air Austral n’aurait sûrement pas rouvert la desserte des Seychelles en 2012. Concernant le groupe Dubreuil, il est vrai qu’ils n’ont pas apporté des garanties satisfaisantes en matière de stratégie. Pour ce qui est d’Océinde, les discussions se poursuivent. Cela prend du temps car c’est un dossier sensible. Nous voulons être assurés que la compagnie réunionnaise de l’océan Indien continue à être la compagnie réunionnaise de l’océan Indien. 

 

L’Eco austral : Le programme de coopération territoriale européenne INTERREG V (2014- 2020) est doté de 63,2 millions d’euros alloués par le FEDER. Il semble que la Région soit très impliquée pour utiliser cette enveloppe ?

 

Didier Robert : L’enjeu est important car il s’agit d’impliquer des acteurs privés dans des actions de coopération. La Région était déjà gestionnaire de l’enveloppe, mais l’Europe nous demande maintenant d’intervenir comme acteur de premier plan et d’assurer une véritable concertation avec les pays voisins. Il s’agit de définir ce que nous voulons faire et notamment les sujets prioritaires. C’est une forme d’autonomie supplémentaire pour la Région car l’État n’est plus en première ligne même si nous l’associons aux discussions. À ce jour, nous avons signé des accords avec Maurice et les Comores et des négociations sont en cours avec les Seychelles et Madagascar. Au-delà du programme INTERREG, il y a aussi la question de l’utilisation du FED (Fonds européen de développement) par certains pays. Par exemple, au cours des années précédentes, les Comores n’ont pu utiliser toute leur enveloppe, faute d’assistance technique. La Région pourrait apporter cette assistance technique et parvenir à un croisement entre les fonds FED et les fonds INTERREG fournis par le FEDER. Il y a des dossiers à monter et la Région est prête à apporter sa contribution. 

 

Source: Ecoaustral.com