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Centres de contacts et services d’externalisation : Maurice a-t-elle toujours son avantage comparatif ?

Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère pour le BPO mauricien. Les opérateurs diversifient leurs portefeuilles et commencent à investir de plus en plus dans des activités de niche à valeur ajoutée. Cela permettra peut-être à ce secteur de devenir un des moteurs de l’économie à revenu élevé à laquelle nous aspirons.

À l’aube du 21e siècle, alors que se développait l’industrie du Business Process Outsourcing (BPO), Maurice disposait d’un redoutable avantage : une main-d’œuvre éduquée et bilingue. Les pays d’Asie du Sud-Est dominaient alors cette industrie ; ils continuent à le faire d’ailleurs. L’Inde, les Philippines ou encore le Vietnam ont comme atout une immense population urbaine et jeune qui ne demande qu’à s’exposer à la culture occidentale. Mais parce qu’ils sont pour la plupart anglophones, ils pénétraient avec beaucoup de difficulté le marché français. Maurice ayant de bonnes infrastructures et une stabilité sociale permettant aux opérateurs de travailler jour et nuit sans être perturbés par des grèves syndicales, certains investisseurs étrangers y ont vu une opportunité pour avoir un pied en France tout en restant actifs sur les marchés anglophones.

Aujourd’hui, certaines choses ont changé : l’Internet est à bien moins cher qu’auparavant et la connectivité est plus rapide. D’ailleurs, dès 2018, le prix et la vitesse devront être encore meilleurs. Deux nouveaux câbles à fibre optique de très haut débit seront installés et viendront s’ajouter aux deux autres qui relient l’île au reste du monde. Le problème toutefois, c’est qu’entre-temps, de nombreux pays francophones bien plus grands que nous en taille et en population, comme le Maroc et la Tunisie, se sont imposés comme des références pour le BPO francophone. Ils ont aussi une main-d’œuvre moins chère que la nôtre. Les ambitions de Maurice de devenir un pays à revenu élevé d’ici à 2020 joue contre sa propre compétitivité sur le marché mondial dans ce type d’industrie. C’est une des raisons pour lesquelles Madagascar devient de plus en plus attrayant pour les opérateurs du BPO.

Pas que le marché francophone

Pour Ken Arian, Senior Manager d’Activeline et vice-président de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM), il ne faudrait toutefois pas voir en Madagascar une menace pour le BPO mauricien, mais plutôt une opportunité. Il est vrai que Madagascar a un avantage certain sur nous pour ce qui est du marché francophone car le pays a la masse critique qu’il faut pour recruter vite et à bien moins cher, reconnaît-il, mais l’opportunité pour les entreprises mauriciennes de s’y ins-taller pour y développer une partie de leurs activités comme les centres d’appels est bien réelle et permettrait de réduire quelques coûts sans oublier que Maurice demeure la plateforme idéale d’où nous pouvons continuer à travailler sur les activités de niche à valeur ajoutée. Certaines firmes traditionnellement basées à Maurice comme Euro CRM et ProContact y sont déjà, d’ailleurs.

Toujours sur le marché francophone, certains événements tragiques peuvent potentiellement jouer en notre faveur. Un opérateur qui y est engagé explique que depuis les attentats terroristes perpétrés répétitivement contre leur pays, les Français tolèrent très mal les accents maghrébins au téléphone. Le terrorisme a donc un impact sur la compétitivité du Maghreb dans le BPO. Les opérateurs mauriciens peuvent tirer avantage de cette situation car Maurice demeure politiquement très stable en comparaison avec le monde en développement et l’accent des Mauriciens peut être, par les temps qui courent, un avantage.

Bien qu’on puisse avoir l’impression que le marché francophone prédomine sur les autres marchés, il existe de nombreuses firmes mauriciennes qui visent les marchés nord-américains et européens autres que la France. L’une d’elles est Apollo Blake, dont le Managing Director est Kiran Ruchchan. Fondée par des Américains, qui d’ailleurs font la promotion de leur firme dans leur pays, Apollo Blake ne se limite pas qu’au marché francophone ou anglophone. Elle dispose d’une équipe de collaborateurs qui parlent très bien l’allemand et le hollandais, ce qui lui permet d’opérer dans ces deux pays. Pour nous convaincre de sa capacité à pénétrer ces marchés, Kiran Ruchchan nous fait part d’une anecdote.

Une cliente originaire de la Suède, qui possède dans ce pays une entreprise de déve-loppement de jeux vidéo en ligne, les a approchés récemment. Elle vise le marché allemand et elle avait besoin d’une équipe de service clients pouvant couramment parler l’allemand ainsi qu’une équipe de développeurs pouvant répondre à ses besoins. Apollo Blake a fait venir des Allemands, des Autrichiens et des Turcs qui maîtrisent très bien cette langue. Un Indien, Jatin Soni, dirige l’équipe de développeurs de jeux vidéo. La capacité de cette firme à employer des talents étran-gers est à la base de sa réussite à gagner des contrats dans ces pays difficiles d’accès justement à cause de l’impossibilité des Mauriciens à parler couramment ces langues.

Deux atouts nous permettent d’améliorer notre pénétration de ce marché à l’avenir. Comme nous le dit Kiran Ruchchan, le fait que le gouvernement ait décidé d’ouvrir le ciel mauricien à d’autres compagnies d’aviation commence à porter ses fruits. La Suédoise, qui est aujourd’hui un client très important pour Apollo Blake, est arrivée à Maurice l’année dernière grâce à cette politique d’ouverture d’abord en vacances et a ensuite approché la Board of Investment pour des conseils pour rechercher des partenaires d’affaires dans le pays, ce qui l’a amené à choisir Apollo Blake. Ensuite, à la fin de l’année dernière, le gouvernement a ramené le ratio de travailleurs étrangers de 3:1 à 1:1 pour les cinq prochaines années. Ce qui veut dire que pour chaque Mauricien qu’ils emploie-ront à l’avenir, les opérateurs du BPO pourront employer un étranger. Ce qui offre la capacité aux entreprises existantes de se réorganiser pour faire venir des professionnels des marchés non traditionnels comme l’Allemagne en attendant que leurs équipes mauriciennes ne soient prêtes.

Le BPO se diversifie

Afin de s’adapter aux tendances du marché international et s’y frayer une place malgré la compétition indienne et philippine, beaucoup d’opérateurs diversifient leurs activités. Même si le service clientèle occupe la majeure partie de leurs prestations, nombre d’entre eux les orientent, par exemple, vers le Back-Office Accounting ou encore le marke-ting digital. Ils réduisent petit à petit leur portefeuille de centres d’appels pour se concentrer sur des activités qui sont mieux rémunérées car elles exigent une plus grande connaissance technique de la part des employés. Activeline, elle-même, est engagée dans le développement d’applications web et mobiles pour des clients étrangers.

Mais si le BPO mauricien s’adapte et diversifie ses activités, certains acteurs pensent que si l’on veut que le secteur des Tic arrive à contribuer au PIB avec une croissance à deux chiffres, il faut que l’on mette fin à ce qu’on appelle le BPO frame of mind et que l’on réfléchisse à mettre sur pied une véritable industrie high-tech. Vidia Mooneegan, Ma-naging Director de Ceridian, est de ceux-là. Il est d’avis que les opérateurs mauriciens investissent plus dans leurs employés afin que ceux-ci acquièrent des connaissances plus techniques, ce qui leur permettra de devenir des développeurs au lieu d’être de simples opérateurs.

Arvin Mootoocurpen